L'Art du Graff
Le Street Art était à l’honneur à Toulouse en 2016. En juin dernier, s'est tenu le festival Rose Béton avec la venue entre autres de George SHAW, créateur du festival SPECTRUM à Christchurch, une ville sinistrée de Nouvelle-Zélande. Paraissait aussi au même moment le livre de Olivier GAL et d'Etienne BELLAN-HUCHERY, "Truskool, une histoire du graffiti à Toulouse"* sur le collectif de graffeurs toulousains, l'occasion pour le public de rencontrer des graffeurs professionnels ou amateurs et des galeries de Street Art.
Faire le Mur
Le Street Art des origines peut se définir par l’ensemble des pratiques
picturales urbaines ayant pour support les murs ou les équipements d’une ville.
Du tag, simple
signature, au graffiti stylisé jusqu'à la fresque monumentale, le Street Art regroupe des techniques aussi diverses que la peinture à la bombe
de couleur, le pochoir, l’affiche, le bas relief ou la gravure. Un art brut en mouvement perpétuel dont les œuvres sont fragiles, éphémères, parfois secrètes, scellées entre les murs d'un immeuble tel un trésor dans un tombeau égyptien.
Tilt, Toulouse, 2010 |
In the Street
Dans une ville moderne largement dédiée à l'automobile, les rues ont une fonction de transit. Les autorités organisent des flux de circulation, canalisent les individus comme si elles dirigeaient les destinées. La place de chacun est définie par des espaces utilitaires. La ville en-mure les individualités pour laisser place à une collectivité sans visage. Les graffitis sont alors comme les herbes folles. Dès qu’un espace se libère, l’humain réapparaît hors les murs, reprend ses droits dans la diversité et l'anarchie au mépris de la volonté de discipliner et d’ordonner le monde. Le tag semble crier le libre-arbitre face à la domination des foules et le refus d’être absorbé par le trafic.
à Toulouse, 2010 |
Acte graphique
Le Street Art est un acte social subversif, c’est l’anti-propriété privée. Le taggeur revendique l’espace, il se réapproprie la ville. Il engage un dialogue avec la rue. Une démarche qui rappelle les sociétés premières fortement reliées à leur environnement. Un passant New-Yorkais dans le film Trumac** dit en parlant des graffitis « On unifie le monde ».
Ainsi ce qui se passe entre le graffiti et le mur est essentiel. Il ne s'agit pas de mettre un cadre
avec une photo accrochée sur le mur de la ville : cela ne fonctionne pas. Le tag s’empare du mur, il l'intègre, il en
joue. L'artiste Misstic dit : « Le mur a un grain, moi aussi. » Il y
a une connexion avec ce support que l’on détourne pour véhiculer des messages.
Se prendre le mur
Fonctionnant en collectif, les taggeurs se retrouvent autour d'une même façon de vivre le présent. Leur mode d'être passe par une performance corporelle qui consiste à atteindre des endroits soit inaccessibles, soit interdits.
à Toulouse, 2010 |
Se prendre le mur
Fonctionnant en collectif, les taggeurs se retrouvent autour d'une même façon de vivre le présent. Leur mode d'être passe par une performance corporelle qui consiste à atteindre des endroits soit inaccessibles, soit interdits.
à Toulouse, 2011 |
Pour le passant-spectateur, c'est comme si quelque chose s’immisçait dans son champ de vision quotidien surdéterminé. La ville pousse au mouvement, le tag impose la pause.
Tilt, Alix sofa, 2013. |
Cet art gratuit qui venait contre-carrer l’ordre établi et s'opposait à toute muséification, a atteint une maturité repérée par les galeries d'art. Et dans des centres-villes nettoyés, en pleine Gentryfication, l’art de sauvageons et d’emmerdeurs anti-bourgeois a été anobli par les autorités et prend part officiellement dans le paysage urbain.
L'acte de réappropriation du graffiti disparaît peu à peu au profit d'une technique de fresque à l'hyperréalisme monumental. Il est question de lettrage, d'a-plat, de perspective, de personnage et moins de style de vie. Dans les galeries, les œuvres de Street Art apparaissent comme un discours sur l’urbain, une évocation
de la puissance du graff sans en capter l'énergie essentielle.
TILT, Christchurch, 2016. |
Si on peut regretter que le Street Art ait perdu de sa force subversive, il est devenu sans conteste un symbole de la vitalité urbaine. C'est ce qu'a montré l'expérience menée par OI YOU de George SHAW à Christchurch. Dans cette ville néozélandaise en grande partie détruite par un tremblement de terre, les autorités ont misé sur l'art urbain, dont le graffiti, pour redynamiser la ville et faire revenir la population. Le Graff apparaît alors nettement comme l’empreinte de l’individu, le marqueur humain de la dynamique urbaine. Grâce au Street Art, le No Man’s Land redevenait un human’s land démontrant la place prise par le Street Art dans l'imaginaire collectif de la ville. Les murs ont désormais leurs graffeurs.
*Editions ATLANTICA, 2016.
**Trumac, Third Millenium, film réalisé par ATN, 2003.
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